On les retrouve errant, par un matin gelé Dans le cri des essieux, sur des quais étrangers Des bagages en souffrance, des enfants étonnés Et des femmes sans âge serrant des nouveau-nés Ils ont des souvenirs en lambeaux quelque part Sur un arpent de terre ignoré de l'Histoire Des vies coupées en deux, un jour, à la frontière Et le nom d'un pays murmuré en prière Étranges, étranges Étranges étrangers Ils ont des noms d'ailleurs qui rocaillent et qui chantent Coulant comme des fleuves des plaines de là-bas Ou fleurant les rivages de Méditerranée Mais qu'importent leurs noms, ils sont déracinés Le ghetto les attend aux portes des cités Dont la lumière au loin colore leur détresse Au bout du désespoir, ils iront se jeter Dans la gueule des loups, aux abords des chantiers Étranges, étranges Étranges étrangers Le seigneur des savanes qui menait son troupeau Égaré dans l'enfer d'un éternel été Arrête un jour sa marche à la quête de l'eau Jetant ses libertés aux pieds des négriers Ceux qui n'oublieront pas les nuits de cauchemar Santiago succombait sous les pieds des soudards Quand des hommes à genoux chantaient la liberté Les yeux noirs des fusils répondaient "La muerte" Étranges, étranges Étranges étrangers Ceux-là dont la folie se nommait liberté Et que n'ont jamais pu faire genou plier Ni les années d'exil au pied des miradors Ni les cachots des fous au fond des corridors Naufragés sans espoir au beau pays de France Pays de la Commune, de Jaurès et Voltaire Des princes libéraux t'imposaient le silence Pour nous faire oublier la paix des cimetières Étranges, étranges Étranges étrangers