La première fois que j'l'ai vu c'était au taf derrière "l'upresse"
Nouvelle recrue du staff qui débarquait en stress
Jeunot S au visage pâle, profil fantomatique
Elle était maigre, discrète, en marge du reste de l'équipe
Percée, tatouée, habillée kaki de la tête aux pieds
Les anciens la toisaient, sourire en coin, hallucinaient
Elle ne parlait à personne, elle usinait ses pièces, reclue dans son monde, deux yeux bleus emprunts de tristesse
Elle prenait sa pause au loin, à l'abri des regards et 30 minutes plus tard revenait toujours plus zen qu'à son départ
La langue lourde, le geste lent, elle retrouvait sa place et finissait sa nuit, maladroitement, plus très efficace.
Qu'est-ce qu'elle faisait toute seule pendant son temps de repos? j'me demandais qu'est-ce qui se tramait dans le noir de l'entrepôt.
Un soir son sac était ouvert, j'suis venu la remplacer et ce soir là j'ai vite compris malheureusement ce qui se passait.
Une flamme, une feuille d'aluminium, une paille, quelques milligrammes de résidu d'opium
Une poudre blanche qui chauffe et s'évapore dans les bas fonds
Un regard vide de plus qui suit la goutte et s'en va chasser le dragon.
Originaire d'un foyer pauvre, seule fille d'une famille nombreuse
Enfance traumatisée par un père aux mains plus que baladeuses
A 16 piges, elle claque la porte de chez elle en quête d'un nouvel aurore
Attaque la vie avec l'homme qu'elle aime sans regrets ni remords
10 ans de plus qu'elle, c'était son premier keum son premier join
Mais avec le temps et l'enfer de la rue, le charme des premiers jours s'éteint
Le type s'révèle un trou de balle, qui aime faire parler ses poings
Demain c'est loin c'est sûr, et dans ses bras ça refoule le mauvais vin
Elle aurait bien repris les études, pourquoi pas taffer dans le social?
Mais vu son profil, l'effort à fournir lui paraissait colossal
Tellement déconnectée, au bas de l'échelle, aucune confiance en elle
Elle avait perdu la niaque, baissé les bras et fumé son potentiel
Elle vivotait, entre la manche, le RMI, un peu d'intérim
S'traînait péniblement de squat en squat au plus profond de l'abîme
Et c'est comme ça, que de fil en aiguille, ça vire à l'héroïne
Et que chaque soir, à cette époque je la retrouvais "foncedée" à l'usine.
Et un jour, elle est partie, je ne l'ai plus jamais revu
Elle s'appelait Mélanie, va savoir ce qu'elle est devenue
Et depuis j'n'arrive pas à l'oublier
Son visage me poursuit, il y'a comme une ombre qui se traîne
Une âme en peine qui plane et hante mon esprit
Je vois la tête de la détresse, la face creusée du désespoir, la gueule défigurée de l'asphyxie qui resurgit de ma mémoire
Ce regard triste et froid que tu ne côtoies que chez les ventres creux
A l'endroit où drogue et misère s'unissent et sortent le grand jeu
Au bout de cette ligne de chemin de fer, je vois la tête de la femme famine
Seule face à ses démons, la gueule meurtrie du fond de la mine
Elle gonfle ses poumons d'une effluve aux "palines", cherche l'étincelle, coincée dans l'enceinte pourrissante d'un vieux bassin industriel
Et elle me fixe, silencieuse et immobile, parait détendue, pique du zen, pendant que ses veines se gonflent de ce produit défendu
Je vois la tête du désarroi, la tête transpirante de la défaite
Elle est prête, elle rentre dans l'entre de la bête
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