À jongler avec les jours, avec les semaines J'ai perdu mon élan, j'ai perdu mon haleine Les loups garous des gares égorgent les sirènes Tous les vaisseaux rouillés de Brest meuglent leur peine Brest sur Elorn, Brest sur Penfeld, Brest après guerre Où les bagnoles filent dans les rues perpendiculaires Béton armé de fer, bateaux, armée de mer Mon père et mon grand-père ont vécu de la guerre J'y ai rêvé comme à un grand soleil d'acier Qui roulait sur les vagues, flottait sur mes cahiers Où chaque jour j'écris une maxime en haut de page "Faut aimer son prochain", "La vie n'est qu'un passage" Brest, oh ma blanche morte aux hanches de pleine mer Tu bouffes à tous les bateliers de l'univers Les cales des fruitiers soufflaient l'Afrique mauve Je n'étais qu'un enfant tranquille au regard fauve Mon oeil éclate en rouge dans le minium des coques Des navires étranglés entre radoub et docks Les bassins d'ombre où les bouches d'égout s'engouffrent J'étais un Indien pétri de charbon et de soufre Mes chevaux d'air se sont perdus dans les rues droites Ils ont filé, les bateaux blancs et les pirates Les Américains nous jetaient des carambars Et partaient en riant se saouler dans les bars Les mouettes sur le dépotoir crient piou-piou Les mouettes sur l'École de guerre crient piou-piou Les mouettes sur la rade des bateaux crient piou-piou "Qui es-tu, toi l'homme à genoux Qui marches sur la terre Qui voles dans les airs Qui nages dans la mer? Piou-piou, piou-piou" Brest et ses rues sans âme, sans âme que le vent Qui rôde de la rue de Siam au pont levant Les lavandières de la pluie ont blanchi le soleil Mes yeux au bout du ciel ont lancé leurs abeilles Le vent, le vent, le vent souffle rue Jean-Jaurès Soulève les jupons des filles et les caresse De sa main de velours, sa large main de sel Qui fait chanter les drisses et fait l'amour au ciel Troadic, dis-moi, cours-tu toujours boiteux le long des rues? As-tu fermé les yeux entre les bras des grues Leur tendresse rouillée, leur dentelle de ferraille? As-tu trouvé la mort paisible et ses semailles? Lorsque les chiens du temps me feront rendre gorge Quand les poumons du vent n'attiseront plus mes forges Guide-moi d'une main, éclaire un peu ma route Dans le train des vaincus et des vainqueurs, de ceux qui doutent Les mouettes sur le dépotoir crient piou-piou Les mouettes sur l'École de guerre crient piou-piou Les mouettes sur la rade des bateaux crient piou-piou "Qui es-tu toi l'homme à genoux Qui marches sur la terre Qui voles dans les airs Qui nages dans la mer? Piou-piou, piou-piou"