Ma femme est morte, je suis libre Je puis donc boire tout mon soûl Lorsque je rentrais sans un sou Ses cris me déchiraient la fibre Autant qu'un roi je suis heureux L'air est pur, le ciel admirable Nous avions un été semblable Lorsque j'en devins amoureux L'horrible soif qui me déchire Aurait besoin pour s'assouvir D'autant de vin qu'en peut tenir Son tombeau, ce n'est pas peu dire Je l'ai jetée au fond d'un puits Et j'ai même poussé sur elle Tous les pavés de la margelle Je l'oublierai si je le puis Au nom des serments de tendresse Dont rien ne peut nous délier Et pour nous réconcilier Comme au beau temps de notre ivresse J'implorai d'elle un rendez-vous Le soir, sur une route obscure Elle y vint, folle créature Nous sommes tous plus ou moins fous Elle était encore jolie Quoique bien fatiguée, et moi Je l'aimais trop, voilà pourquoi Je lui dis "Sors de cette vie" Nul ne peut me comprendre. Un seul Parmi ces ivrognes stupides Songea-t-il dans ses nuits morbides À faire du vin un linceul? Cette crapule invulnérable Comme les machines de fer Jamais, ni l'été ni l'hiver N'a connu l'amour véritable Avec ses noirs enchantements Son cortège infernal d'alarmes Ses fioles de poison, ses larmes Ses bruits de chaîne et d'ossements Me voilà libre et solitaire Je serai ce soir ivre mort Alors, sans peur et sans remords Je me coucherai sur la terre Et je dormirai comme un chien Le chariot aux lourdes roues Chargé de pierres et de boues Le wagon enragé peut bien Écraser ma tête coupable Ou me couper par le milieu Je m'en moque comme de Dieu Du Diable ou de la Sainte Table