Quand le soleil se lève Je me lève avec lui Je marche sur les orteils Pour ne pas faire de bruit Car la toile des tentes Est tendue comme des tympans Et ma mère dans son ventre Attend un autre enfant À l'orée du village Je cours dans la clairière Où la plaine est sauvage Et le vent éphémère Mes amis m'y attendent Le ciel est blanc et bleu La vie comme une danse Je suis un enfant merveilleux Mais à la nuit tombée Mes frères et mes sœurs Ne font que raconter De folles histoires d'horreur Au milieu desquelles Même grand-père a peur Et où le couteau des rebelles Fait des enfants des tueurs Le temps est mauvais Le ciel est rouge et gris Les histoires étaient vraies J'entends ma mère qui supplie Mais les soldats la tiennent Tirent dans les airs en riant Le village est terre de Sienne Et la lune pleine de sang Quand les rebelles s'enfuient Il ne reste plus rien Sinon un peu de pluie Pour me laver les mains Je sors de ma cachette Le village est en feu Il ne reste que les miettes Et j'aurais dû fermer les yeux Je me mets à courir Sans trop vraiment savoir Mes larmes comme des saphirs Font briller ma peau noire Si les soldats reviennent Ils me feront la peau Je marche de nuit, je mange à peine Et adieu le Congo, go! Les villages sur la crête Sont devenus tout petits Et où le sentier s'arrête Je marche dans la nuit La route est devenue champ Le champ est devenu terre La terre est sable blanc Et se jette dans la mer Bien sûr, les anciens Nous avaient raconté Les grands déserts marins Débordant d'eau salée Rapidement, on m'escorte Pour me mettre à l'abri Pendant que le bateau m'emporte Je ne sais plus qui je suis J'aurais voulu leur dire Ce qu'est devenue ma famille Autour de moi des martyrs Ont tous vécu bien pire J'ai laissé mon enfance Sur une plage d'Afrique Et le bonheur crie vengeance Dans mon cœur dynamite Au bout de l'océan Les gens sont morts aussi Leur visage est aussi blanc Que les fantômes de mon pays Leur cité est infinie Leurs maisons jusqu'au ciel Et le bitume et le gris Mangent la forêt et la plaine Je ne comprends pas un mot De tout ce qu'on me dit Je me sens comme un idiot Mais au moins on me sourit Un petit couple étrange Vient souvent me visiter Il m'appelle mon ange Et décide de m'emmener Malgré leur amour Et la bonté dans leurs yeux Les couvertures en velours Et les jouets dispendieux Je plante les ongles Dans les paumes de mes mains Pour penser à autre chose Qu'au venin du chagrin Aujourd'hui, j'ai oublié Le visage de ma mère Et les odeurs associées Au feu et à la terre Et quand dans le journal On parle de mon pays Même ici, à Montréal Je tremble dans mon taxi Maintenant que je suis grand J'ai compris bien des choses Et qu'en me sauvant à huit ans C'était moi le fantôme On perd la lumière Et la vie qui va avec Quand le vent de la clairière Souffle celui des machettes